vendredi 4 juin 2010



l . INTRODUCTION

En essayant de jeter un regard rétrospectif dans le passé, nous considérons l’Encyclique « Rerum Novarum » de Léon XIII qui a constitué la clé de voûte de l’encyclique Centésimus Annus du Pape Jean-Paul II. C’est cette lettre qui a attiré, tant soit peu, notre curiosité en ce qu’elle contient : « la question ouvrière », thème inspiré de l’Encyclique du Pape Léon XIII à son juste titre Rerum Novarum. C’est pour cette raison que le Pape Jean-Paul II nous propose un projet toujours et déjà en chantier dans la seule finalité du bien-être et du mieux-être de la personne ouvrière.

En partant du passé, le Pape nous place dans la situation actuelle envisageant l’avenir de l’être ouvrier. Nous sommes donc « vers les choses nouvelles d’aujourd’hui ». C’est pourquoi dans la perspective de ce travail, nous nous sommes proposé de traiter de la question ouvrière en deux petits chapitres. Le premier consistera à dégager l’historique de la question ouvrière et le deuxième traitera des traits caractéristiques du « Rerum Novarum ».


Chapitre premier :

L’HISTORIQUE DE LA QUESTION OUVRIERE

Par le titre « vers les choses nouvelles » d’aujourd’hui repris par le Pape Jean Paul II, c’est-à-dire « Rerum Novarum » du pape Léon XIII, semble nous situer dans un projet toujours et déjà en chantier en partant de la « situation actuelle », moment de la rédaction de l’encyclique « Centesimus Annus », 1991. Dans ce sens, « le cadre historique et les prévisions qui y sont tracées se révèlent d’une exactitude surprenante, à la lumière de tous les évènements ultérieurs »[1]. C’est en fonction des situations antérieures que le Pape Léon XIII prévenait les conséquences négatives et les signes toujours plus inquiétants sous tous ces aspects : politique, social et économique d’une organisation de la société telle que la proposait le socialisme, qui en était alors au stade d’uphilosophie sociale et d’un mouvement plus ou moins structuré.

En parlant du socialisme en tant qu’un état fort et puissant et, avec toutes les ressources à sa disposition, la question ouvrière se pose. Car, dira le Pape Jean Paul II en reprenant d’une certaine manière les mots de son prédécesseur, le Pape Léon XIII : « Toutefois, il mesura bien le danger que représentait pour les masses la présentation séduisante d’une solution aussi simple que radicale de la ‘question ouvrière d’alors’ »
[2]. Les masses prolétariennes étaient réduites à leur injuste sort.

Ce sont les masses de la classe ouvrière qui sont en proie et victimes des inégalités sociales d’autant plus que la nature du socialisme supprimait quelque peu la propriété privée. Erreur grave de réduire les masses de la classe ouvrière à pitoyable irresponsabilité d’une part et de l’instrumentaliser au détriment de l’industrialisation de l’autre part. C’est ainsi que la grande lucidité avec laquelle est perçue, dans toute sa rigueur, la condition réelle des prolétaires, hommes, femmes, enfants ; et la clarté non moins grande avec laquelle est saisi ce qu’il y a de mauvais dans une solution qui, sous l’apparence d’un renversement des situations des pauvres et des riches, portait en réalité préjudice à ceux-là mêmes qu’on se promettait d’aider
[3].

I.1. Du communisme et du socialisme pour l’ouvrier

Pour le Pape Jean Paul II, l’erreur fondamentale du socialisme est de caractère anthropologique.

« En effet, il considère l’individu comme un simple élément, une molécule de l’organisme social, de sorte que le bien de chacun est tout entier subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social, tandis que, par ailleurs, il estime que ce même bien de l’individu peut être atteint hors de tout choix autonome de sa part, hors de sa seule et exclusive décision responsable devant le bien ou le mal. L’homme est ainsi réduit à un ensemble de relations sociales, et c’est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l’ordre social par cette décision »
[4].

De toutes les façons, le pape Jean Paul II, à la lumière de Léon XIII, se soucie de mettre en valeur la responsabilité, la liberté, l’autonomie et la fierté de possession ; il rappelle au socialisme réel que l’homme occupe une place intégrante et intégrale dans la société. Il est question de tout homme et de tout l’homme dont les valeurs précitées ont été jadis violentées et foulées aux pieds dans le communisme et le socialisme dit réel. Nous ajoutons qu’il faut repenser politique et économie sous la figure du ‘socialisme réel’ entravant et étouffant la propre dignité de la personne humaine et qui constituerait un processus vers une authentique communauté humaine. De ce fait, l’ordre social devrait toujours tenir compte de la dignité et de la responsabilité humaines. Car, « En effet, l’homme dépossédé de ce qu’il pourrait dire ‘sien’ et de la possibilité de gagner sa vie par ses propres initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d’une authentique communauté humaine »
[5].

Par opposition à une telle affirmation, il faut une vision juste de la société dans laquelle toute la personne humaine se retrouve. Selon l’Encyclique « Rerum Novarum » de Léon XIII, et sous toute la doctrine sociale de l’église, le caractère social de l’homme ne s’épuise pas dans l’Etat, mais il se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturelles qui, découlant de la même nature humaine, ont toujours à l’intérieur du bien commun leur autonomie propre.

Il semblerait que la conception erronée de « la nature de la personne humaine et de la personnalité de la société » qui naît de l’athéisme prouve la raison d’être de l’Encyclique du Pape Jean Paul II et de son prédécesseur Léon XIII. Alors que « c’est par sa réponse à l’appel de Dieu contenu dans l’être des choses que l’homme prend conscience de sa dignité transcendante »
[6], le socialisme et les autres institutions nient l’intuition ultime de la vraie grandeur de l’homme, la contradiction qu’il ressent dans son cœur entre le désir d’une plénitude de bien et son impuissance à obtenir le besoin de salut qui en dérive.

I.2. Le communisme et l’exploitation de la classe ouvrière

Il est question de la lutte des classes sociales en conflits, problème que le Pape voudrait résoudre dans le processus « vers les choses nouvelles » du moment présent pour l’avenir meilleur. C’est pourtant l’exploitation de l’homme riche au détriment de l’homme pauvre qui provoque le choc, le court circuit dans la société où le monde du travail et le monde du capital ont conduit l’être humain dans l’oubli de l’autre et de sa propre dignité ; en se transformant en lutte des classes séparées l’une de l’autre dans un même corps, cette « société intégrale et intégrante ». Cela voudrait solliciter la réhumanisation de l’homme car,
« Ce conflit a eu son origine dans le fait que les travailleurs mettaient leurs forces à la disposition du groupe des entrepreneurs et que ce dernier, guidé par le principe du plus grand profit, cherchait à maintenir le salaire le plus bas possible pour le travail exécuté par les ouvriers. A cela il faut ajouter d’autres éléments d’exploitation, liés au manque de sécurité dans le travail et à l’absence de garanties quant aux conditions de santé et de vie des ouvriers et de leurs familles »
[7] .

Le riche est en pleine exploitation du pauvre ouvrier, il lui retire toute propriété et toute responsabilité de se prendre en charge. C’est dans cette mouvance que va naître le communisme en tant qu’une organisation économique et sociale fondée sur la suppression de la propriété privée au conflit de la propriété collective. Il est très clair que ce collectisme, cet égalitarisme-communiste objective et instrumentalise l’être humain en lui ravissant la possibilité et la capacité de se dire lui-même « j’ai » ou « je possède ».

A ce propos,

« les regroupements inspirés par l’idéologie marxiste, comme partis politiques, tendent, conformément au principe de la « dictature du prolétariat » et en exerçant des influences de divers types, y compris la pression révolutionnaire, au monopole du pouvoir dans chacune des sociétés, et veulent y introduire le système collectiviste grâce à l’élimination de la propriété privée des moyens de production »
[8].

Il est ici sous-entendu tout un programme d’action dont la finalité serait d’accomplir la révolution sociale et d’introduire dans le monde entier le socialisme ; pire encore le système du communisme qui pourrait enfermer l’être humain dans la carapace marxiste. En ce sujet le pape Jean-Paul II dit :

« Bien des peuples perdent le pouvoir de disposer d’eux-mêmes, sont enfermés dans les limites d’un empire oppressif tandis qu’on s’efforce de détruire leur mémoire historique et les racines séculaires de leur culture. Des masses énormes d’hommes, à la suite de cette violente partition, sont contraintes d’abandonner leur terre et déportées de force »
[9] .

C’est en effet la lutte contre la haine et contre l’injustice ; la lutte pour la charité et la justice sociale prônée par l’Encyclique « Laborem exercens ». Alors que la préoccupation primordiale et majeure du communisme incite à la réorganisation de l’ordre social qui nous pousse de tenir compte de la dignité et la responsabilité de l’être humain. A fin de compte, la racine du système communiste-marxiste c’est « l’athéisme, et le mépris de la personne humaine qui fait prévaloir le principe de la force sur celui de la raison et du droit »
[10].

On peut percevoir que l’être humain est menacé dans son être et dans ses raisons de vivre. Alors que la culture de l’homme demeure encore à revoir et à redéfinir, «l’avenir humain est plein d’angoisse. L’homme a inventé le feu nucléaire qui menace de détruire toute trace de civilisation. Il peut aussi provoquer la catastrophe écologique qui mettrait en danger les conditions de vie terrestre. Il procède à des expérimentations génétiques qui risquent de rompre l’équilibre biologique de l’être humain »
[11]. Ce sont les enjeux de la techno-science de l’homme riche qui démoralise la conscience humaine. Il est détruit la conviction que l’homme est un être responsable, libre, maître de sa conduite morale, capable de connaître l’Absolu et de se transcender.

Par ailleurs, il est bien vrai que l’injustice, l’oppression totalitaire de peuples entiers, la permissivité morale et la dégradation spirituelle ne sont pas le propre de notre époque. L’homme est en péril dans le système d’exploitation dont « les ramifications semblent défier les sociétés civilisées ». C’est tout à fait une tendance que nous considérons à « l’anti-culture » et à « l’anti-humanisme ». Elle est inhumaine et supprime l’image de Dieu en la personne de l’être humain. Elle est donc à rechercher selon un principe de légitimité justifiée et justifiable pour tout homme et tout l’homme en empruntant le style du Pape Paul VI. Passons maintenant à l’idée du socialisme par rapport à la question ouvrière.

I.3. Le socialisme et la question ouvrière

Contrairement au communisme qui travaillait à la suppression totale de propriété privée, le socialisme laisse un petit espace à la propriété privée et se définit comme une doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt, le bien général sur les intérêts particuliers. On peut comprendre par là qu’il y a, tant soit peu, une certaine organisation consentielle et concertée entre le groupe des patrons et celui des ouvriers. Tout homme a, bien qu’encore insuffisant à ce niveau, le droit et le devoir de possession.

Pourtant, la puissance de l’Eglise est de réconcilier les riches et les pauvres ; et au Pape Léon XIII de donner la recommandation au riche qui doit s’interdire tout acte de nature à porter atteinte à l’épargne du pauvre. Exactement le Pape plaide pour le pauvre en ces termes :

« Enfin les riches doivent s’interdire religieusement tout acte violent, toute fraude, toute manœuvre usuraire qui serait de nature à porter atteinte à l’épargne du pauvre, et cela d’autant plus que celui-ci est moins apte à se défendre et que son avoir, pour être de mince importance, revêt un caractère plus sacré »
[12].

Pour le Pape Léon XIII, il faut défendre l’homme d’humbles conditions et envisager de resserrer l’union de deux classes, riches patrons et pauvres ouvriers, jusqu’à les unir l’une à l’autre sans complexe qu’il soit par les liens d’une véritable amitié. Le riche devrait dans ce sens, effectuer un passage ou un transfert dans la considération de l’ouvrier puisque le soubassement du Rerum Novarum « est dans la distinction entre la juste possession des richesses et leur usage légitime » et « et la propriété privée, nous l’avons vu plus haut, est pour l’homme de droit naturel ; l’exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire »
[13].

De toutes les façons, on peut remarquer que la propriété privée n’est artificielle à l’être humain. Elle est, comme droit et devoir de charité, coexistantielle et connaturelle à l’homme. Elle est ainsi liée à toute l’histoire de l’être humain. A cet effet, ce dernier doit se définir à partir de la possession personnelle, fruit de son travail.

« Au travail demeure également lié depuis les origines le problème de la propriété, car, pour faire servir à soi et aux autres les ressources cachées dans la nature, l’homme a comme unique moyen son travail. Et enfin de pouvoir faire fructifier ces ressources par son travail, l’homme s’approprie des petites parties des diverses richesses de la nature : du sous-sol, de la mer, de la terre, de l’espace. L’homme s’approprie tout cela en en faisant le chantier de son travail. Il se l’approprie par le travail et pour avoir encore le travail. »
[14].

Après avoir traité de l’historique de la question ouvrière, nous pensons nécessaire de présenter en bref les traits caractéristiques faisant l’objet du deuxième chapitre.


Chapitre deuxième :

TRAITS CARACTERISTIQUE DU « RERUM NOVARUM »

L’Eglise, vers la fin du siècle dernier, a dû additionner ses efforts face aux facteurs du changement radical qui s’est produit dans le domaine politique et social. Dans le domaine politique, ce changement a engendré une nouvelle conception de la société et de l’état et par conséquent, de l’autorité. Une société traditionnelle disparaît tandis qu’une autre commence à voir le jour, marquée par l’espoir de nouvelles libertés, mais également par le risque de nouvelles formes d’injustice et d’esclave.

Dans le domaine économique, on avait progressivement assisté à l’apparition d’une nouvelle forme de propriété, le capital, et d’une nouvelle forme de travail, le travail salarié, caractérisé par de pénibles rythmes de production, négligeant toute considération de sexe, d’âge ou de situation familiale, uniquement déterminé par l’efficacité en vue d’augmenter le profit. La conséquence de cette transformation sur tout point de vue était la « division de lasociété en deux classes séparées par un profond abîme »[15].

Au paroxysme de cette opposition ou division, de cette injustice sociale, Léon XIII intervint en publiant un document qui traitait de manière systématique la « question ouvrière ». Cette encyclique « Rerum novarum » combat les maux au sein de ce changement social et la liberté qui, dans le domaine de l’activité économique et sociale, s’éloigne de la vérité humaine. Cette encyclique avait été précédée par d’autres, consacrées davantage à des enseignements de caractère politique et social. C’est dans ce contexte qu’il convient d’évoquer « Libertas proestantisimus » dans laquelle était rappelé le lien constitutif de la liberté humaine avec la vérité, lien si fort qu’une liberté qui refuserait de se lier à la vérité tomberait dans l’arbitraire et finirait par se soumettre elle-même aux passions les dégradantes et par s’autodétruire.

D’où viennent en effet, tous les maux que veut combattre « Rerum Novarum », sinon d’une liberté qui, dans le domaine de l’activité économique et sociale, s’éloigne de la vérité de l’homme ? L’encyclique « Rerum novarum » décrit en termes vigoureux les « choses nouvelles ». Le pape Léon XIII en parle en ces mots :

« A l’heure où grandissait le désir de choses nouvelles qui, depuis longtemps agite les Etats, il fallait s’attendre à voir la soif de changements dans la sphère voisine de l’économie. En effet, l’industrie s’est développée et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Le rapport les entre patrons ouvriers se sont modifiés, la richesse a afflué entre les mains d’un petit nombre et la multitude est dans l’indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus haute d’eux-mêmes et ont constaté entre eux une union plus étroite ».
[16]

Tout cela, sans parler de la corruption des mœurs, a eu pour résultat de faire éclater un conflit
.
II. 1. La charité de l’église et l’homme

Face à la misère du prolétariat, le pape Léon XIII disait : « C’est avec assurance que nous abordons ce sujet, et dans toute la plénitude de notre droit. Nous taire serait aux yeux négliger notre devoir »
[17]. L’Eglise a toujours au cours de temps, traité la question sociale avec un but d’exercer sa sollicitude et ses responsabilité à l’égard de l’homme qui lui a été confié par le Christ lui-même, cet homme qui, comme le rappelle le deuxième Concile du Vatican II, est la seule créature sur terre que Dieu est voulu pour elle-même et pour lequel Dieu a son projet, à savoir la participation au salut éternel. Il s’agit de chaque homme et de tout l’homme dans son intégralité pour qui Jésus Christ s’est uni et donné dans le mystère de la rédemption.

L’Eglise ne peut abandonner l’homme parce que l’homme est la première route que l’Eglise doit parcourt en accomplissant sa mission, route tracée par le Christ lui-même à travers le mystère de l’Incarnation et de la rédemption : mystère d’amour. L’Eglise reçoit de la révélation divine le sens de l’homme. C’est pourquoi la mission de l’Eglise semble être uniquement par multiples moyens sacramentaires, comme enrichissements de la dignité humaine. Le souverain Pape nous en parle explicitement en ces mots :
« Quand elle annonce à l’homme le salut de Dieu, quand il lui offre la vie divine et la lui communique par les sacrements, quand elle orient sa vie par les commandements de l’amour de Dieu et du prochain, l’Eglise contribue à l’enrichissement de la dignité de l’homme »
[18]. Voila pourquoi, l’Eglise se consacre avec des formes et des méthodes toujours nouvelles à l’évangélisation qui assure le développement de tout l’homme.

Pour l’Eglise, le message social de l’Evangile ne doit pas être considéré comme une théorie, mais avant tout comme un fondement et une motivation de l’action. Au regard rétrospectif, les membres de l’église primitive distribuaient les biens aux pauvres, montrant qu’en dépit des différences de provenance, sociale, une convivialité harmonieuse et solidaire était possible. Dans l’Eglise praticable de l’époque, par la force de l’Evangile, les moines ont cultivé la terre, les religieux et religieuses ont fondé des hôpitaux et des asiles pour les pauvres, les confréries.

Nombreux hommes et femmes se sont engagés en faveur des nécessiteux et de marginaux, dans la conviction et la pratique des paroles de Jésus : « Ce que vous avait fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’aurez fait » (Mt 25,40), ne devrait pas rester un veux pieux mais devenir un engagement concret de leur vie. Plus que jamais, l’Eglise sait que son message social sera rendu crédible par les témoignages des œuvres plus encore que par sa cohérence et sa logique internes. C’est de cette conviction que découle son option préférentielle pour les pauvres, qui n’est jamais exclusive ni discriminatoire à l’égard d’autres groupes.

Il s’agit en effet d’une option qui ne vaut pas seulement pour la pauvreté matérielle : on sait bien que, surtout dans la société moderne, on trouve de nombreuses formes de pauvreté, économique mais aussi culturelle que religieuse. L’amour de l’Eglise pour les pauvres, qui est capital et qui fait de sa tradition constante, la pousse à se tourner vers le monde dans lequel, malgré le progrès technique et économique, la pauvreté menace de prendre de propositions gigantesques. L’amour pour l’homme, et en premier lieu pour le pauvre dans lequel l’Eglise voit le Christ, se traduit concrètement par la « promotion de la justice ». Celle-ci ne pourra jamais être pleinement mise en œuvre si les hommes ne voient pas celui qui est dans le besoin, qui demande un soutien pour vivre, non pas comme un fardeau, mais comme un appel à faire le bien. Seule cette prise de conscience donnera le courage d’affronter le risque et le changement qu’implique toute tentative authentique de se porter au secours d’un autre homme. En effet, il ne s’agit pas seulement de donner de son superflu mais d’apporter son aide pour faire entrer dans le cycle du développement économique et humain des peuples entiers qui en sont exclus ou marginalisés. Ce sera possible non seulement si l’on puise dans le superflu, produit en abondance par notre monde, mais surtout si l’on change les styles de vie, le modèle de production et de consommation qui régissent aujourd’hui les sociétés.

II.2. La propriété privée et la destination universelle des biens

Dans l’encyclique « rerum novarum », le pape Léon XIII affirmait avec force, contre le socialisme de son temps, le caractère naturel du droit à la propriété privée. L’Eglise, du temps de Léon et d’aujourd’hui, enseigne que la propriété des biens n’est pas un droit absolu mais comporte dans sa nature même le droit humain. Le pape Jean-Paul II atteste cette position en ces termes :

« L’homme, dans l’usage qu’il fait de ses biens, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais aussi aux autres »
[19]. Cette expression exprimée dans l’évangile veut signifier que les fortunés de ce monde sont avertis, ils doivent trembler devant les menaces que Jésus profère contre les riches, qu’enfin il viendra un jour où ils devront rendre compte à Dieu de leur vécu de la charité envers leur semblables, un compte très vigoureux de l’usage qu’ils auront fait de leur fortune.

Nous comprenons que l’Eglise tient sur la destination commune des biens dans ce qu’elle affirme que l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, pour communes. La propriété privée ou un certain pouvoir sur les biens extérieurs assure à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale, il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. La perspective qui est la nôtre nous fait vaincre que la propriété privée dans sa nature propre projette toujours et déjà vers l’acte de charité. Elle a un caractère social, fonde dans la loi de commune destination de biens.

Lorsque nous parlons de l’enseignement sur le droit à la propriété et à la destination commune des biens, on peut se poser la question de l’origine des biens qui soutiennent la vie de l’homme, qui satisfont à ses besoins et qui sont l’objet de ses droits. La première origine de tout bien est l’acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l’homme et qui a donné la terre à l’homme pour la maîtrise par le travail et jouisse de ses fruits ( Gn 1,28-29 ). Dieu a donné la terre à tous les genres humains pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C’est l’origine de la destination universelle des biens de la terre.

En raison de sa fécondité même et de ses possibilités se satisfaire les besoins de l’homme. La terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine. Or, elle ne produit pas les fruits sans une réponse spécifique de l’homme au don de Dieu, c’est-à-dire sans le travail. Grâce à son travail, l’homme, utilisant son intelligence et sa liberté, parvient à la dominer et il en fait la demeure qui lui convient. Il s’approprie ainsi une partie de la terre ; celle qu’il s’est acquise par son travail. C’est là l’origine de la propriété privée ou individuelle. Evidemment, il a aussi la responsabilité de ne pas empêcher que d’autres hommes disposent de leur port du don de Dieu, au contraire, il doit collaborer avec eux pour dominer ensemble toute la terre.


CONCLUSION


L’Encyclique « Rerum Novarum » est de proclamer les conditions fondamentales de la justice dans la conjoncture économique et sociale de l’époque. Le pape nous invite à vivre les nouvelles situations sans amoindrir la dignité transcendante de la personne humaine.
A cent ans de distance, la valeur d’une telle orientation offre au pape Jean-Paul II l’occasion d’apporter une contribution à l’élaboration de la « doctrine sociale Chrétienne ». La nouvelle évangélisation compte parmi ses éléments essentiels l’annonce de la doctrine sociale de l’Eglise apte à indiquer le bon chemin pour répondre aux grands défis du temps présent.
En se proposant de faire la lumière sur le conflit survenu entre le capital et le travail, Léon XIII affirmait les droits fondamentaux des travailleurs. C’est pourquoi la clé de lecture du texte pontifical est « la dignité du travail défini comme l’activité humaine ordonnée à la satisfaction des besoins de vie »
[20] Le travail appartient ainsi à la vocation de toute personne dans le sens où l’homme s’exprime ou se réalise par son activité laborieuse. Le travail possède en même temps une dimension sociale, par sa relation étroite tant avec la famille qu’avec le bien commun puisqu’on peut affirmer sans se tromper que le travail des ouvriers est à l’origine des richesses de l’Etat.

BIBLIOGRAPHIE

JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, Lettre encyclique à l’occsion du centenaire de l’encyclique Rerum Novarum, Kinshasa, Editions Saint Paul Afrique, 1991.

JEAN-PAUL II, Le travail humain, Lettre Encyclique « Laborem Exercens »,Publiée à l’occasion du 90ème anniversaire de l’Encyclique « Rerum Novarum », Kinshasa, Editions Saint Paul Afrique,1981.

LEON XIII et PIE XI, Rerum Novarum et Quadragesimo Anno, Lettre pastorale collective sur la restauration de l’ordre social, Ottawa, Comité Diocésain de l’Action Catholique, 1941 .

CARRIER Hervé, Evangile et cultures de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Librairie Editrice Vaticana, Editions Médiaspaul, 1987.
[1] . JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, Lettre encyclique à l’occsion du centenaire de l’encyclique Rerum Novarum, Kinshasa, Editions Saint Paul Afrique, no 12, § 1.
[2] . Ibidem, § 2.
[3] . Idem.
[4] . Ibidem, n° 13, § 2.
[5] . Idem.
[6] . Idem, n° 3.
[7] . JEAN-PAUL II, Le travail humain, Lettre Encyclique « Laborem Exercens »,Publiée à l’occasion du 90ème anniversaire de l’Encyclique « Rerum Novarum », Kinshasa, Editions Saint Paul Afrique, no 11, §3.
[8] . Ibidem, § 4.
[9] . JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, Lettre Encyclique à l’occasion du centenaire de l’Encyclique « Rerum Novarum, op. Cit. n° 18, §3.
[10] . Ibidem, no 14, §2.
[11] . Hervé CARRIER, Evangile et cultures de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Librairie Editrice Vaticana, Editions Médiaspaul, 1987, p. 59-60.
[12] . LEON XIII et PIE XI, Rerum Novarum et Quadragesimo Anno, Lettre pastorale collective sur la restauration de l’ordre social, Ottawa, Comité Diocésain de l’Action Catholique, 1941, p. 15.
[13] . Ibidem, p. 17.
[14] . JEAN-PAUL II, Le travail humain, Lettre Encyclique « Laborem Exercens », op. cit., p. 46.
[15] LEON XIII, Idem p. 132.
[16] Ibidem, p 59.
[17] Ibidem, p107.
[18] JEAN-PAUL II, Centesimus annuss, n°55 p . 115.
[19] Ibidem, p 61.
[20] JEAN-PAUL II, Idem,, p 17.

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